Projet atypique et protéiforme issu du milieu de la danse, La Pieuvre conjugue réflexion et performance autour de la question de la valeur de l’art.

 

En résidence à l’Agora, la créature, à la fois artistique et politique, prend la forme d’un débat ouvert et engageant, où les échanges s’entrelacent aux actions plus poétiques ou performées. Trois créateurs en danse en constituent le noyau  : Katya Montaignac, Brice Noeser et Enora Rivière. Mais ses tentacules et ventouses sont multiples : Angie Cheng, Shérane Figaro, Marie Claire Forté, k.g. Guttman, Thomas Duret, Catherine Lavoie-Marcus, Marie Mougeolle, Hanna Sybille Müller, Michel F. Côté, et bien d’autres. Une constitution qui rappelle effectivement celle de l’animal à trois coeurs, huit bras, neuf cerveaux, et des centaines de ventouses…

« Ça [la référence à la pieuvre] allait avec l’idée de penser à plusieurs, en collectif, de faire valoir différents points de vue, même si c’est parti de nous trois. C’est fascinant comme animal, la pieuvre est capable de résoudre des problèmes nouveaux sans avoir appris à le faire. »Brice Noeser
Shérane Figaro, Catherine Lavoie-Marcus, Hanna Sybille Müller, Michel F. Côté, Brice Noeser, Marie Mougeolle et Katya Montaignac | La Pieuvre | © Svetla Atanasova
« Oxymore vivant, la figure allégorique de la pieuvre génère des sensations contradictoires: outre la force physique de ses puissantes tentacules, son extrême fluidité lui permet de s’infiltrer et se camoufler. Multiple et polymorphe, la pieuvre est un être du pli et des stratégies obliques: son comportement fondé sur une polytropie (“le mouvement permanent de celui qui découvre toujours un visage différent”) et sa capacité à créer des leurres pour se sortir de situations délicates associe l’animal rhétorique à la politique. »Jean Arnaud, Stratégies de la pieuvre (extrait)

En studio à l’Agora en mai 2021, La Pieuvre se déploie dans des sessions de prises de parole ou dans des ateliers. L’un d’eux est animé par l’artiste Édith Brunette. Doctorante en études politiques, elle s’intéresse justement à la manière singulière dont les artistes exercent leur liberté et comment ils influencent l’engagement politique.

Suivra l’artiste mutidisciplinaire Thomas Duret qui explore avec le groupe comment appliquer les principes de la permaculture à la culture. Le partage d’informations dans ces séances peut aussi donner lieu à des déambulations diverses (cadavres exquis, lectures et dérives poétiques). 

La (dé)mesure de l’art

La Pieuvre est née de la pandémie, de la précarité et des nombreux questionnements qu’elle a suscités ou accentués chez les artistes du milieu de la danse. Comment évaluer l’art ? Doit-on évaluer l’art ? Ces questions ont d’abord amené la bande à décortiquer le langage des formulaires de demande de subvention, l’automne dernier. Quelles sont les retombées attendues de votre projet ? Comment votre projet fait-il avancer votre pratique artistique? Ce jargon trahit à ses yeux une vision néolibérale, entrepreneuriale qui l’épuise d’autant plus qu’elle s’est répandue dans toutes les sphères de la vie en société. 

Interpelée par leur quête de sens en ces temps qui forcent à remettre en question même les acquis et les essentiels, l’Agora héberge et soutient le projet par une série de résidences, à laquelle s’ajoute une coproduction inusitée et exceptionnelle, puisque sans obligation de production.

La Pieuvre | © Svetla Atanasova

Une lettre qui fait écho

À partir de ses constats, critiques et réflexions, le collectif a rédigé une lettre au contenu longuement mûri et débattu, qu’il a acheminée aux conseils des arts des trois paliers gouvernementaux. Ces derniers ont répondu à l’appel, convoqué des rencontres. 

« C’était une ambition dès le début d’avoir une tribune. On a d’abord voulu écrire un manifeste. On a pris le temps de se rencontrer, de décortiquer nos intentions, de peser nos mots. Oui, nos récriminations, nos critiques, mais qu’est-ce qu’on propose? »Katya Montaignac

La Pieuvre a donc été écoutée. A-t-elle été entendue ? La suite nous le dira. La sage créature n’a pas fini de se déployer. Un débat public aura lieu pendant le FTA afin d’élargir les échanges à d’autres acteurs, d’interpeler et d’entendre ce cher public, jusqu’ici tenu à distance à cause de la pandémie.

D’ici là, nous vous invitons à lire ces cadavres exquis issus de la résidence à l’Agora, détournement poétique d’une question bien réelle, tirée d’un formulaire de demande de subvention.