Danser seul.e ou ne pas être: les premiers pas d’un web-journal sur la création solo en danse.
Pourquoi la figure du solo domine la saison en danse ? La réponse est sur toutes les lèvres. Mais le solo n’est pas seulement une mesure sanitaire. C’est un art en soi, à la fois exigeant et libérateur. The show must go ONE, un web-journal sur la création solo en danse, s’y consacrera toute l’année. Au premier acte : l’oeuvre de Jacques Poulin-Denis.
De la nécessité du solo
Si la distanciation imposée force un peu la main des théâtres et des artistes en danse, il est fascinant de constater que la nature du solo fait écho à d’autres élans personnels et sociaux déclenchés par la pandémie : le besoin d’introspection et de retour à l’essentiel, le désir de se redéfinir et/ou de redéfinir le monde qui nous entoure, l’adaptation à de nouvelles contraintes et le vertige devant tous les possibles.
The show must go ONE témoignera au fil des semaines de ces nombreux paradoxes que le solo et notre époque pandémique ont en partage. Nous suivrons d’abord cet automne le processus de création de Punch Line de Jacques Poulin-Denis, à travers des entretiens écrits et audio, des photos, des vidéos, déployés tant sur le blogue de l’Agora que sur ses réseaux sociaux.
En avant-goût, le chorégraphe associé de l’Agora nous explique pourquoi il choisit de faire un solo.
L’histoire d’une origine
Une courte incursion dans l’histoire du solo en danse, ses motivations et ses enjeux propres suffit à montrer pourquoi il navigue bien les temps incertains que nous vivons: il est animé d’une saine tension entre quête de soi et exploration des possibles.
« La danse moderne – et contemporaine – est née d’un solo », rappelle le chorégraphe et penseur français Daniel Dobbels dans un entretien sur la web-radio Oufipo, en 2016. Les danses de création d’aujourd’hui (par opposition aux danses de répertoire) trouvent toutes leur origine dans plusieurs solos de femmes. Loïe Fuller, Doris Humphrey, Isadora Duncan, Mary Wigman : ces solistes ont chacune inventé, à quelques décennies d’intervalles, une écriture et une manière d’être sur scène unique, hors des codes imposés de leur époque.
Nécessaire intériorité
L’histoire du ballet regorge aussi de solistes mythiques, d’Anna Pavlova à Aurélie Dupont en passant par Rudolf Noureev. Mais là où le ballet faisait du solo une danse d’étoiles et un symbole hiérarchique, la modernité en a fait le droit de chacun.e à décider de danser autrement. Chaque geste émane alors d’une nécessité intérieure. Pas étonnant, donc, que le solo s’impose dans ces jours incertains qui forcent un retour à l’essentiel.
Le lieu des paradoxes
Intériorité, solitude, introspection, le solo est aussi un lieu où l’on s’expose autant qu’on s’affirme, qu’on se dépasse, qu’on s’exorcise. Car s’il est seul en scène, le soliste est aussi d’autant plus intensément avec le public, concentré dans son regard. C’est la responsabilité parfois terrifiante qu’il porte.
Une diversité de formes
Par sa singularité, le solo prend des formes multiples. Il peut être autobiographique, révéler un personnage, ouvrir un espace d’expérimentation et «de liberté, où vécus chorégraphiques et influences sont digérés», comme l’écrivait l’Agora sur son site web en 2012, à l’occasion d’une table-ronde sur le solo. Il est souvent tout cela à la fois. Un mouvement de retour à soi pour nous permettre d’entrer en relation – autrement – avec les autres : n’est-ce pas là ce qu’on l’on vit en ce moment ?
Texte Frédérique Doyon
Images Dominique Skoltz