Entretien sur le rapprochement entre culture pop et danse contemporaine qui fait encore des vagues sur la scène chorégraphique française, à l’occasion de la visite, cette semaine à l’AGORA, du directeur artistique du Centre chorégraphique national de Tours, Thomas Lebrun.

 

Depuis plusieurs années, il y a chez certains chorégraphes français un engouement pour une « danse libre », souvent inspirée de la danse de clubs ou hybridée à une culture plus populaire. Au Québec, la génération des Dave St-Pierre, Frédérick Gravel, Virginie Brunelle plaidait à sa manière pour un tel rapprochement. Plus récemment, des jeunes artistes jonglent avec les codes du sport (le collectif Wives) ou embrassent leur «queerness» avec ses ancrages dans la culture de clubs et la mode. Reste que chez les Français, le mouvement offre un fort ressac à ce qu’on a appelé la «non-danse», qui a eu beaucoup moins de prise de ce côté-ci de l’océan. Des artistes comme Christian Rizzo, François Chaignaud, Yuval Pick puisent aussi dans les référents culturels franchement pop.

AGORA : À quoi attribuez-vous ce courant et qu’apporte-t-il à la scène contemporaine?

 

Thomas Lebrun : Il y a effectivement eu un courant fort en France qui confrontait ce que les professionnels appellent «  danse savante / danse populaire »… Est-ce un désir de se rapprocher un peu plus du public, après un autre courant antérieur qui prônait la danse d’auteur, l’acte artistique prioritaire à l’échange avec son public ? Est-ce un besoin de survie pour la danse après un moment d’éloignement volontaire ? Un changement de cap nécessaire à la reconnaissance de l’échange artistique ? Un courant en réaction à la politique culturelle qui, en France, boude un peu l’art chorégraphique devenu, à un moment et en partie par sa volonté, trop élitiste et pas assez proche de la population ?

 

La danse contemporaine cherche toujours sa place, car son besoin de reconnaissance n’est jamais rassasié. Pour cause, elle peine à trouver sa légitimité entre les moyens qu’on lui alloue, les autres arts plus installés dans la culture générale comme le théâtre ou la musique, et les conditions qu’on lui impose pour exister. Il y a 10 ans à peine, les conditions « artistiques » pour évoluer dans la danse contemporaine française étaient bien loin de celles d’aujourd’hui, oscillant alors entre chorégraphe-auteurs et chorégraphes de divertissement. Aujourd’hui peut-être cherche-t-on, pour le bien, à effacer cette frontière imposée, et souvent renforcée par les critiques… Peut-être a-t-on plus le choix de se positionner et de s’imposer différemment que dans une unique ligne de pensée ou d’accessibilité ? Mais s’intéresser au public et à sa réception des pièces restent toujours aujourd’hui une question délicate. On doit toujours justifier « ce qui est art » !

 

AGORA : Comment Les rois de la piste (et d’autres de vos oeuvres) y participe – ou non?

 

Thomas Lebrun : En 2002, je dansais en duo avec Foofwa d’Immobilite une pièce sur le tango… danse populaire ? Homme, femme ou Madame-Monsieur, nous faisions un tour du monde du tango… En 2006, nous dansions les « Soirées What You Want? », sortes de jukebox chorégraphique improvisé sur une multitude de tubes pop ou disco internationaux… et on joue cette pièce encore aujourd’hui.

Avec « Les rois de la piste » créée en 2016, nous ne sommes pas qu’en club… Nous sommes partout… dans un mariage, dans une soirée, dans une boum, dans un bal… mais ce n’est pas l’important… L’important, ce sont les gens que l’on y rencontre. C’est le regard que l’on porte sur eux, sur nous. Et tous les personnages présents dans Les rois de la piste, nous les aimons… Je ne parlerai pas de danse libre… Mais de la notion « du plaisir de danser ».

Les rois de la piste Thomas Lebrun /© Frédéric Iovino

Les rois de la piste Thomas Lebrun /© Frédéric Iovino

AGORA : Vous dites avoir vous-même participé à cet âge d’or des clubs. Y a -t-il certains souvenirs/expériences/personnages qui ont alimenté la création plus spécifiquement ?

 

Thomas Lebrun : Oui, j’étais gogo dans ma jeunesse… surtout en Belgique ! Dans la pièce, il y a des danseurs de 25, 35 et 45 ans… Nous avons donc chacun vécu le clubbing de façon différente, mais avons tous aussi un regard différent sur la danse et son évolution. Bien sûr, chaque personnage des Rois de la piste est proche de nous d’une manière ou d’une autre.

Il y a des gens de notre famille, des amis de l’époque, des créatures qu’on n’a jamais osé être, celui ou celle que l’on détestait quelques minutes, ou qu’on a jalousé…

Ils ont tous un prénom, une « carte d’identité », un âge, une origine, un métier…

Ils sont tous seuls et espèrent tous ne plus l’être…

Ils sont « sur leur 31 » comme on dit chez nous.

Ils sont comme nous tous… ils ont envie « d’être bien » !

Propos recueillis par Frédérique Doyon

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