En résidence depuis le 20 janvier à l’Agora, en vue de la présentation de Promesses, Louise Bédard évoque les « perspectives du regard », les « nuances », les « rapports d’échelle » et les «textures» quand elle parle de son travail de création. Autant de mots qui révèlent ses multiples filiations avec les arts visuels, la photographie, la littérature, voire l’architecture. Entretien avec la chorégraphe.
Propos recueillis par Frédérique Doyon
D’ou vient le lien fort avec les arts visuels ?
«J’ai toujours eu une curiosité pour d’autres artistes, d’autres façons de faire. C’est venu très tôt dans ma carrière, dans ma recherche. Dès que je commençais à créer, j’étais fascinée par le travail des autres. Alors pourquoi ne pas l’inclure pas dans mon propre travail ?», dit-elle.
De ce rapport essentiel aux œuvres des autres, elle a même tiré tout un cycle de création dans les années 2000. Itinéraires multiples rassemble trois pièces, chacune consacré à une femme artiste : Elles (2002) se nourrit de l’œuvre de la photographe italo-mexicaine Tina Modoti, Ce qu’il en reste (2005) s’inspire des photomontages de Hannah Höch, sans doute l’une des premières femmes dadaïstes allemandes, et Enfin vous zestes (2008) qui prend pour tremplin la peinture de la Canadienne Marianna Gartner.
«Toutes ces rencontres sont des hasards fabuleux qui ouvraient le champs des possibles dans la création, et pas juste en terme de mouvements. Comment l’architecture d’un lieu, comme un théâtre, peut-elle être perçue autrement en posant un objet sur la scène ? Et j’ai fait ces trois découvertes grâce à des livres… alors je ne peux pas nier que la littérature m’inspire aussi. L’écriture [de Guylaine Massoutre] a d’ailleurs beaucoup influencé un des duos de Promesses.»
Comment votre propre pratique du collage nourrit-elle votre création chorégraphique?
«C’est une pratique que j’ai commencée quand j’étais blessée, grâce à Hannah Höch. C’est un autre rapport à une architecture – celle de la feuille blanche. J’aime collectionner des images parce qu’elles me parlent. Je les mets dans mon cahier de travail. Je les regarde et ça m’inspire, ça me lance, puis je tombe dans l’abstraction.»
Je photographie souvent de petits objets. Je les imprime, les apporte en studio et je dis aux danseurs on essaie d’en faire quelque chose. On a fait, comme ça, tout une section de la pièce J’y suis. Pour Promesse, ce sont les photographies qu’Elisabeth Hayert a prises de gens s’adonnant au « bondage » qui l’ont inspirée. «Je voulais avoir ces corps emmaillotés pour la pièce et j’ai travaillé sur le stillness — mot que j’aime beaucoup en anglais, qui représente un moment de pause, d’inertie.»
À propos de quelques-uns des nombreux objets parsemant la scène de Promesses…
Les petites maisons de Monopoly
«Je rêve souvent aux maisons. Dans mes rêves, je visite des intérieurs de maison, des fois il y a des gens, d’autres fois pas. Ça me rappelle quand j’étais petite : je dessinais souvent des maisons.
Ça reste parce que c’est le carrefour de beaucoup de choses : la famille, l’identité, le va-et-vient du quotidien, la migration, l’immigration… C’est toute la question de perspectives aussi qui m’intéresse : je me rappelle une recherche où je filmais mes mains avec ces petites maison, en gros plan. J’aime ce rapport à l’œil photographique, l’idée de contenir un mouvement et d’imaginer où il va…»
Les piles de vêtements
«Pour moi, c’est l’image des jeunes revêtant des vêtements qui leur ont appartenu ou vont leur appartenir, et qui s’en débarrassent comme de vieilles peaux. C’est la mue des personnes qui sont en processus de devenir des adultes… Le poids des vêtements, c’est le poids des histoires aussi, comme chez Annette Messager et Louise Bourgeois, qui ont travaillé les tissus.»
Les « poches »
«J’amène souvent des vêtements et des objets en studio… Cette fois, j’étais dans le théâtre avec les deux gars [Louis Elyan Martin et Alejandro De Leon] et j’ai emprunté les fameuses poches qui m’ont toujours fascinée dans les théâtres [pour tenir les rideaux de scène en place]. J’avais besoin d’une contrainte pour travailler avec eux. Et j’aimais leur matérialité et la sculpture que ça laissait dans l’espace. Ça me tentait de faire référence au labeur et à une certaine fragilité de l’homme. Le Rouge et le noir de Stendhal rouge et noir et un tableau de Caspar Friedrich ont aussi teinté ce duo. Bref, les poches m’ont donné plein de matière pour créer ce duo.»
Promesses
Louise Bédard Danse
5-6-7 février – 19 h
8 février – 16 h + 20 h