L’art vivant passe à l’écran 3D et plonge sous l’eau avec Underwater, immersion dansée virtuelle signée Caroline Laurin-Beaucage, Oriane Morriet et Chélanie Beaudin-Quintin.
Migration forcée pour les uns, souhaitée pour les autres, la danse à l’écran s’est certainement accélérée pour plusieurs, pandémie oblige. Le streaming d’un spectacle scénique n’est toutefois pas une panacée. Et d’autres projets plus essentiellement numériques, souvent nés en amont de la crise actuelle, inspirent. Premier texte d’une série de trois.
Un nouvel univers s’ouvre à la chorégraphie avec le projet Underwater. Celui des corps dansants en immersion bien réelle sous l’eau, en vue d’une expérience inédite de réalité virtuelle (ci-après, VR).
L’idée est née dans la tête de la scénariste, journaliste et recherchiste, Oriane Morriet. Nageuse assidue, elle s’étonnait de voir son copain au physique pourtant musclé perdre son aplomb dans la piscine. « Dans l’eau, il avait l’air d’un enfant, fragile, raconte la doctorante en nouveaux médias, dont la recherche porte spécifiquement sur la scénarisation pour la VR. Passer d’un milieu à un autre change la perception qu’on a des gens et leur manière d’être. »
Comme si, en franchissant la ligne de l’eau, telle une traversée du miroir, on basculait dans une autre vision du réel. «C’est une œuvre qui raconte un peu cette histoire et met en valeur la beauté des corps dans tout ce qu’ils sont, corps vieux, maigres, de couleurs, habiles ou non ».
Corps, gravité et apesanteur
Après avoir vu la pièce GROUND et REBO(U)ND Caroline Laurin-Beaucage, deux oeuvres qui mettent le corps et son rebond dans un rapport très différent à la gravité, elle savait qu’elle avait trouvé « sa » chorégraphe.
« La proposition d’Oriane tombait juste à point », indique Caroline Laurin-Beaucage, qui a mené son propre laboratoire en piscine avec le Broke Lab, en parallèle au projet, pour explorer l’étrange apesanteur de l’univers aquatique.
Si la réalité virtuelle lui est encore inconnue, elle y découvre un terrain de jeu qui correspond à plusieurs aspects de sa création chorégraphique. « Ça m’ouvre à un autre monde de possibles de réfléchir avec ce médium, dit-elle. J’ai tendance à penser la chorégraphie sur les trois dimensions. Je n’imagine pas la création de façon frontale. Après, je dois souvent l’adapter pour le théâtre. Là, avec le VR, on n’est pas dans une réalité théâtrale, il n’y a pas de 4e mur, on est ensemble. »
Le spectateur-danseur au centre
« Tellement ensemble qu’il faut trouver des stratagèmes pour se cacher quand on tournait !, rajoute l’artiste visuelle et réalisatrice, Chélanie Beaudin-Quintin, qui complète le trio de créatrices. Car la particularité du VR c’est que la caméra est au centre et capte tout, mais nous, on ne peut pas être là, dans le champ des caméras. »
Cette particularité technique de la réalité virtuelle a d’ailleurs orienté l’approche chorégraphique. « Il y a quelque chose de très intime dans la façon de recevoir la VR, souligne la chorégraphe. La personne qui vit l’expérience devient comme un danseur en soi, elle fait partie de l’environnement en recevant l’œuvre. Respecter le mouvement propre à chacun est important. Alors, on travaille avec le mouvement libre. On est dans des paramètres d’exploration d’états de corps et non de reproduction fidèle de mouvements. Et on travaille donc avec des danseurs qui ont des aisances variables dans l’eau pour canaliser les forces et les faiblesses de chacun. »
Pour un premier tournage test en piscine l’été dernier (dans l’eau chlorée, « on peut se toucher, c’est comme si on était dans un gros Purell », note Chélanie) , la petite équipe a réuni sept danseurs : Luca « Lazylegz » Patuelli, Angélique Willkie , James Viveiros, Rowan Mercille, Hannah Hollingham, Ivanie Aubin-Malo, Hélène Langevin. Prochaine étape : boucler une première portion de financement pour reprendre les répétitions au printemps et réaliser un prototype.
Défis multiples
Le financement est l’un des nombreux défis notamment techniques de ce projet qui se déroule en grande part dans l’eau : de la connexion du wifi à la dure quête d’un caisson résistant à l’eau pour les caméras VR, en passant par l’éclairage. « J’assume les éclairages apparents, mais comment vont-ils se comporter sous l’eau ? », se demande Chélanie.
Quoi qu’il advienne, « on prévoit passer d’un environnement plus réaliste et naturel à un univers plus contrasté, abstrait, dans un clair-obscur dichrome, décrit la réalisatrice, et en partie inspiré par Bill Viola ». Une référence esthétique d’ailleurs partagée par les trois créatrices, qui annonce un projet plus près du film immersif que des expériences interactives basées sur des modélisations 3D inspirées du jeu vidéo qu’Oriane a plus souvent expérimentées en danse numérique.
Ainsi se construit Underwater, dans un perpétuel échange entre les contributions, les réflexions et les pratiques artistiques de chacune. Une approche non hiérarchique dont se réjouit l’équipe toute féminine, fait rare en création numérique. « Il ne s’agit pas d’arrimer la danse au cinéma, mais de trouver un langage qui soit à la rencontre de nos trois médiums », résume Oriane Morriet.