Que sont les approches somatiques en danse ? Et d’où viennent-elles ? Il y a longtemps que je veux les aborder dans ce blogue. Loin d’être nouvelles, elles influencent une bonne part du paysage chorégraphique québécois.

 

Une hypothèse de cette influence grandissante :  les approches de formation «alternatives» des danseurs. En constante évolution depuis les années 1960, elles s’ancrent souvent dans la conscience somatique.

 

Petit tour d’horizon de deux d’entre elles, le Gyrotonic et le Continuum, avec leurs maîtres-entraîneures québécoises respectives. La chorégraphe Dana Gingras présente justement ces jours-ci sa nouvelle création à l’Agora. Et Linda Rabin est une pionnière des approches somatiques au Québec.

Linda Rabin enseigne le Continuum officiellement depuis 2001 © Tony Chong

Conscience corporelle

Les approches somatiques, « nous amènent à la rencontre du corps interne et de ce qu’il manifeste physiquement et expressivement », résume Linda Rabin. Elle enseigne le Continuum depuis 1999, porte aussi le Body-Mind Centering et la technique Alexander (voir le lexique ci-bas). 


C’est à Thomas Hanna, philosophe et théoricien du mouvement, qu’on doit le terme somatique en 1976, rappelle-t-elle.


« Quand on a fondé l’École [de danse contemporaine de Montréal avec Candice Loubert, en 1981], ce qui était primordial, à part l’entraînement physique, c’était la conscience corporelle, raconte-t-elle. On forme des danseurs, mais aussi des êtres humains », dit-elle, sourire en coin.


« Ce que Linda et Candice nous enseignaient s’écartait des techniques enseignées à l’époque, témoigne Dana Gingras, qui a suivi des classes à l’époque. Ça semblait déjà radical même si c’était encore timide. »

« On forme des danseurs, mais aussi des êtres humains »Linda Rabin

Depuis, les approches du mouvement conscient se sont multipliées, ouvrant tout un champ de possibles pour les danseurs d’aujourd’hui.


« Dans mon temps, l’entraînement du danseur le coupait de lui-même, rapporte Dana Gingras. Devant le miroir, on imitait ce que le professeur nous enseignait, souvent en vue de danser un répertoire. On était entraîné à devenir quelque chose qu’on n’était pas. »

Dana Gingras pratique le Gyrotonic depuis 2000

Plus que de simples techniques

Le Gyrotonic, selon Dana Gingras, « est un système centralisé autour de la colonne vertébrale, qui travaille le corps dans sa tridimensionalité. Il amène le corps à travers toutes ses amplitudes de mouvements potentiels. Ça aide à remodeler le corps selon son état original (blue print). »

 

Elle évite le terme méthode. «Parce que ce n’est pas juste physique, c’est énergétique. C’est à propos de comment le corps est dans l’espace, dit-elle. J’irais jusqu’à dire que ça m’a même conduit sur un chemin spirituel », ajoute celle qui étudie aussi les médecines énergétiques chinoises.

 

Elle souligne la filiation forte entre le Gyrotonic et le Continuum. Car les deux approches sont basées sur un corps essentiellement fluide.

iStock © Tania Row

« Nous sommes principalement fait d’eau. Donc le mouvement fluide est au cœur du Continuum, explique Linda Rabin. Nous nous inspirons surtout de la voix et de la respiration. La puissance du Continuum, c’est le côté créatif qui est très intégré dans l’approche. Car ça ne vise pas à améliorer l’alignement du corps ou la technique. Ça part de la question : c’est quoi un être humain ? C’est une exploration sans but spécifique. Or, la créativité émerge souvent de la découverte, dans l’inconnu. »

Du studio… à la scène ?

Ces approches de formation influencent-elles la création chorégraphique ?  « C’est l’attitude envers le corps qui a changé, c’est la manière de travailler avec les danseurs qui a changé universellement », nuance Dana Gingras.

Elle poursuit : « C’est là le plus grand impact sur la chorégraphie, dans la relation qui s’est créée entre les danseurs et leur propre corps. Et comment leur corps est impliqué sur scène. » Un changement de paradigme qui passe aussi par l’émulation et la formation.

« Une gamme de  chorégraphes ont une affinité à travailler comme ça [le somatique], renchérit Linda Rabin. Donc, ils viennent chercher des appuis dans ces approches pour soutenir ce qu’ils font. »

D’ailleurs, elle dirige (et a offert) beaucoup de stages et de mentorat, notamment auprès de Carol Prieur, Nassim Lootij, Sybille Muller, Élise Bergeron, Andrew Turner, Sylvie Cotton, Charles-Alexis Desgagnés.

La nouvelle création Mountain are Mountains de Dana Gingras © Photo Yannick Grandmont ; IA Background : Justin Evans
La nouvelle création Mountain are Mountains de Dana Gingras © Photo Yannick Grandmont ; IA Background : Justin Evans

Dana Gingras n’enseigne pas le Gyrotonic à ses danseurs. Elle ne leur impose pas une manière de bouger dans ses chorégraphies. Mais la philosophie derrière ce système finit par teinter sa manière de travailler avec les danseurs. 


« Ça m’a changé moi, ma sensibilité, ma perception alors c’est sûr que cela a un impact, conclut-elle. Ce que je regarde, ce que je crée, c’est comment l’énergie bouge [dans les corps, entre les corps et dans l’espace], pas telle ou telle forme. Ce n’est pas tant un travail esthétique. Je chorégraphie la syntaxe de l’énergie. »

Lexique (non-exhaustif) des approches marquantes du mouvement

pratiquées au Québec
par ordre chronologique de fondation

Yoga : émane de la philosophie indienne, fondé entre le IIe et Ve siècle avant JC.

Qi-Gong : gymnastique traditionnelle chinoise (taoïste) et pratique de la respiration fondée sur la connaissance et la maîtrise du souffle, apparue au Ve siècle, modernisée au XXe siècle _ Figure clé au Québec : Marie-Claude Rodrigue

Tai chi : gymnastique énergétique globale née en Chine sous la dynastie Ming (1300-1600) ou Qing (1600-1900) qui consiste à réaliser un ensemble de mouvements continus avec lenteur et précision

(…)

Pilates : développée dans les années 1920 par Joseph Pilates autour de la respiration, de la posture (muscles posturaux) et du bien-être global du corps et esprit

Alexander : technique de mouvement conscient développée au début du XXe siècle par l’acteur australien Frederick Matthias Alexander, qui souffrait d’aphonie, puis enseignée à partir des années 1930

Feldenkrais : méthode d’éducation somatique développée dans les années 1940 par Moshe Feldenkrais, scientifique devenu thérapeute suite à une grave blessure au genou, puis répandue dans les années 1950-60

Body-Mind Centering : approche du mouvement, du corps et de la conscience fondée sur le touché, la voix et l’esprit développé dans les années 1960 par Bonnie Bainbridge Cohen jusqu’à fonder une école en 1973

Continuum : développé vers 1967 par Émilie Conrad ; cette approche à la fois philosophique, artistique et scientifique est basée sur le mouvement fluide du corps. Figure-clé au Québec : Linda Rabin

Gyrotonic : créé par le danseur Julio Horvath (après une rupture de son tendon d’Achile) dans les années 1980 _ Figure clé au Québec : Dana Gingras

Axis Syllabus : créé par le danseur Frey Faust à la fin des années 1990_Figure clé au Québec : Kelly Keenan

Munz : développé par le danseur Alexandre Munz dans les années 2000 _ Figure clé au Québec : Céline Cassone