Dialogue entre Anne Plamondon et Marie Brassard sur leur collaboration pour Mécaniques nocturnes.
Après 10 ans à danser pour de grandes compagnies de ballet, puis 10 autres années à la codirection, la création et l’interprétation pour le Groupe RUBBERBANDance, Anne Plamondon fait le choix décisif de se tourner vers la création indépendante. Dès la première mention de son projet à l’Agora, elle souligne l’absolue nécessité de reprendre le dialogue avec la metteure en scène Marie Brassard, cinq ans après leur première collaboration pour le solo Les même yeux que toi, également présenté à l’Agora. L’intérêt était réciproque. Tête-à-tête.
Propos recueillis par Frédérique Doyon, commissaire de l’Agora
Frédérique Doyon : En quoi êtes-vous intéressées par le travail de l’une et de l’autre? Qu’est-ce que ça vous apporte mutuellement?
Anne Plamondon : L’idée, cette fois-ci, était de pousser le travail plus loin dans cette nouvelle collaboration. Ce que j’admire chez Marie, au-delà de son travail c’est son assurance comme artiste, sa persistance à prendre un risque d’aller au bout de son idée. Elle me supporte quand j’ai une idée que je n’ose pas nommer tout haut, que je reste derrière. Parce que le travail d’interprète, c’est oublier son idée pour être le véhicule ou l’éponge de l’idée de l’autre. C’est pas si évident, mais c’est quelque chose que j’ai développé à fond : être une interprète au service de… C’est tellement une habitude ancrée profondément en moi que ce n’est pas facile d’écouter ma petite voix ou ma vision. Marie m’encourage tout le temps : go go go, prends ce risque, assume ta différence et ta voix. Je me trouve privilégiée d’avoir ce soutien dans cette transition que je vis en ce moment. Elle n’impose rien, elle observe et vient soutenir ce qui est déjà là et ça me permet de découvrir mon identité. Et elle comprend la danse, elle saisit tout ce que je ne nomme pas, quand je ne suis pas super confiante de les exprimer, elle les voit… C’est précieux.
Marie Brassard : Souvent on a des intuitions quand on crée, mais c’est terrifiant de s’y abandonner. Alors parfois on a besoin d’avoir la permission de quelqu’un d’autre, qui va confirmer notre instinct. Comme je comprends ce besoin, je peux aussi le combler chez les autres si je sens que c’est justifié et cohérent. J’aime pousser une idée dont je vois le germe. Je me sens plus près du langage plus abstrait de la danse que de celui de la danse. C’est pour ça que j’adore travailler avec les danseurs. Et Anne est impressionnante : le travail qu’elle peut abattre, la force qu’elle a, cette persistance de se développer… c’est une grande virtuose de la danse. Alors, c’est un cadeau.
Sa démarche me touche beaucoup parce qu’elle a une parenté avec la mienne. Elle pose un geste que j’ai posé il y a 15 ans. Un geste d’indépendance. Anne, qui a travaillé en étroite collaboration avec Victor Quijada du Groupe RUBBERBANDance, a éprouvé le désir de créer ses propres œuvres. C’est un peu à l’image de ce que j’ai vécu quand, en l’an 2000, après 15 ans de travail avec Robert Lepage, j’ai voulu démarrer une carrière et créer mes propres spectacles solos.
Depuis quelques années je m’adonne à quelque chose qu’on peut appeler dramaturgie de la danse. Au fil des ans, beaucoup de chorégraphes et danseurs qui m’ont demandé de travailler avec eux. Anne est une des premières. J’aide ces artistes à développer leurs idées, à voir où ça peut mener. Dans ce cas-ci, c’est une chorégraphie entièrement chorégraphiée par Anne. Mais je l’accompagne depuis le tout début pour qu’elle puisse tirer le maximum de ses idées et les développer de façon cohérente.
Pour cette production je lui ai demandé si je pouvais signer la mise en scène, qui est une chose qui n’existe pas en danse. J’ai des idées esthétiques qui se rattachaient à celles d’Anne et j’ai eu envie de les développer, alors j’ai travaillé à la dramaturgie en étroite collaboration avec Anne, et proposé en compagnie du scénographe Antonin Sorel, une mise en scène qui comprendrait le spectacle. C’est un travail d’échange tant au niveau de la lumière, de la musique, du contenu.
Frédérique Doyon : De quoi traite Mécaniques nocturnes?
Anne Plamondon : De la résistance au changement, comment dans la construction d’une vie, on change, mais est-ce qu’on change vraiment ? Finalement, on réalise : ah ! Il me semble que je suis passée par là il y a 20 ans… La structure [qui tient lieu de décor] fait référence à un échafaudage de construction. On a parlé beaucoup de construction et quand je développais les mouvements, le mot «mécanique du mouvement» revenait souvent. Il y a la mécanique du changement aussi dans la vie : des étapes que tu ne peux pas bousculer, qu’il faut que tu vives avant de lâcher prise et de passer à autre chose…
Frédérique Doyon : Qu’est-ce qui vous rattache toutes les deux à la forme du solo?
Anne Plamondon: Au début je voulais faire un duo. Mais Marie a dit : «je pense qu’il faut tu fasses encore un solo; t’es encore en démarche de trouver ta danse, de développer ta signature». Et elle avait raison. Mais quand on a décidé de travailler avec cette structure, pour moi ce n’était plus un solo. Je suis en relation avec quelque chose. Au début, je trouvais que la structure était un monstre. Je tenais à la barre de ballet, mais il s’y est greffé une structure qui m’a un peu impressionnée. Mais mon défi était de l’habiter. La structure ne bouge pas. Je devais trouver une façon de l’exploiter avec justesse, ne pas aller dans l’acrobatie. C’est devenu mon partenaire.
Marie Brassard : C’est une belle évolution pour Anne. Le passage par le solo est un passage obligé quand on veut définir sa propre parole et par la suite la partager avec les autres. Moi, personnellement, ça fait 15 ans que je fais des solos ponctuellement et pour moi, c’est vraiment une école et une façon de me rapprocher de moi-même de comprendre mieux qui je suis en tant qu’artiste. La majorité des chorégraphes ont aussi été interprètes et ont aussi créé des solos. La plupart le font encore ponctuellement. C’est important parce que quand on est artiste, on est aussi seul. Notre parole qu’on veut transmettre aux autres quand on est metteur ou chorégraphe, il faut qu’elle soit bien comprise en soi même. Ça m’a pris tout ce temps. Mais c’est l’fun après parce que quand on a expérimenté le solo, ça nous donne de la force et ça nous aide à comprendre mieux notre propre langage.
Anne Plamondon : Après avoir été une éponge, le fait de passer autant de temps seul à chorégraphier en studio, ça m’oblige vraiment à aller puiser, à l’intérieur de moi, qui je suis.
Mécaniques nocturne est présenté du 20 au 23 septembre 2017 à l’Agora de la danse.