Le dernier mot de la saison à deux artistes associés de l’Agora.
Contrats de tournées annulés ou reportés, projets en suspens : malgré ces chamboulements, les chorégraphes Jacques Poulin-Denis et Catherine Gaudet apprécient chacun à leur manière le ralentissement forcé par le Grand confinement, propice aux sains questionnements. Reprenant graduellement leurs activités chorégraphiques, ils apprennent à conjuguer autrement leur vie d’artistes… et de parents.
Par Frédérique Doyon
Un quotidien recomposé
Jacques Poulin-Denis a passé une partie de son mois d’avril les mains dans la terre de sa cave pour des rénovations prévues depuis longtemps. Un temps qu’il aurait normalement compressé pour mener les activités autour des 10 ans de sa compagnie artistique Grand Poney – finalement annulées par la COVID.
Catherine Gaudet rentre pour sa part tout juste de la campagne. Elle se sent privilégiée d’avoir pu s’y réfugier avec sa fille de trois ans et demi, qu’elle aurait eu du mal à retenir de socialiser dans sa petite coop familiale montréalaise.
Chez les deux artistes, la parentalité a d’ailleurs repris ses droits au quotidien, et c’est très bien ainsi. « Avec ma fille, c’est super actif mais au moins, je peux me concentrer sur une seule chose : elle », raconte Catherine Gaudet.
Son conjoint ayant maintenu 100% de son travail, elle s’est rendue à l’évidence : elle ne peut travailler que pendant les siestes de sa fille. « C’est peu, alors j’ai surtout éteint des feux. » C’est d’ailleurs pendant ces deux petites heures quotidiennes qu’elle reprendra les répétitions de sa nouvelle création solo — dès que les mesures sanitaires le permettront —, en conviant la danseuse Marie-Philippe Santerre à la campagne après une quarantaine imposée.
La demi-journée de travail quotidien convient aussi à Jacques Poulin-Denis, qui s’occupe ensuite de son fils de quatre ans pour laisser sa blonde s’affairer professionnellement à son tour. « Ça fait du bien de changer ses préoccupations. On revient à l’essentiel. »
Un sentiment paradoxal
Sans avoir encore tout le recul nécessaire pour en mesurer l’impact, les deux artistes reconnaissent que la pandémie actuelle provoque tout à la fois un sentiment d’enracinement et de vertige.
« Il y a eu le soulagement de sentir que tout s’arrête », confie Catherine qui a constaté combien l’épuisait l’incessante obligation de se mettre en valeur comme artiste, réclamant maintenant son « droit à disparaître », dit-elle. « Mais il y a aussi l’angoisse de l’inconnu, ce cheval fou à dompter. »
Autre constat déstabilisant, la notion de « service essentiel » abondamment citée dans les dernières semaines a fait surgir une hiérarchie des pratiques et professions – plus et moins importantes. « Chacun apporte sa contribution dans le monde, mais cela a quand même bousculé notre perception de notre place dans la société, remarque Jacques. On l’a entendu : garder une richesse culturelle présente a aidé les gens à passer au travers. Mais il reste que les gens qui font la caisse à l’épicerie nous sont aussi apparus comme plus essentiels. »
Lendemains inspirants
Cette désorientation momentanée amène surtout de saines questions, selon Jacques, qui promettent des lendemains fertiles. « Ça va peut-être amener les artistes à une participation plus concrète dans la société », dit-il.
« Il y a un ressourcement qui se fait, même si l’inspiration ne vient pas tout de suite, dit pour sa part Catherine, qui se promet de préserver ces espaces de calme, de vide et de rien pour la suite. J’ai besoin de sentir mes prochaines œuvres significatives pour moi, au-delà des bons coups pour ma carrière. Qu’est-ce que j’ai vraiment à apporter de plus et de pertinent au monde ? »