Danse, art vidéo et musique créées ici et ailleurs s’entrecroisent dans la web-série Jump Cut, une curation de la chorégraphe Dana Gingras et de sa compagnie Animals of Distinction (AOD).

 

La danse passe à l’écran, migration forcée pour les uns, souhaitée pour les autres, certainement accélérée par la pandémie. Le streaming d’un spectacle scénique n’est toutefois pas une panacée. D’autres projets plus essentiellement numériques, souvent nés en amont de la crise actuelle, inspirent. Deuxième texte d’une série de trois.

Jump Cut © Dana Gingras, Pascal Huot, Sonya Stefan

« Filmer la danse et la diffuser en streaming : ça ressemble à une mesure temporaire en attendant de faire mieux (stop-gap solution). Je ne voulais pas faire ça avec Jump Cut. C’est une pièce d’art unique qui existe seulement en ligne et pas ailleurs », résume la chorégraphe et commissaire du projet, Dana Gingras.

 

Des collaborations transnationales

En cours de réalisation, la web-série Jump Cut réunit chorégraphes, artistes vidéo et artistes en musique locaux et internationaux. Le trio est renouvelé pour chacun des six épisodes, diffusés en ligne, en direct, à tous les deux mois. La première diffusion, le 28 janvier à 14 h sur Vimeo (20 h à Berlin, à l’occasion du festival CTM), sera amplifiée par l’antenne montréalaise de l’Agora. Par ici pour l’épisode #1

 

Chaîne Vimeo | Dana Gingras/AOD

 

L’ensemble du projet répond à l’interruption brutale, en mars, des tournées et des fertiles rencontres artistiques qu’elles suscitent. Jump Cut pallie ce manque de stimuli créatif et humain. « C’est le fruit des conversations et échanges que les artistes auront en se rencontrant [virtuellement] », résume l’artiste-commissaire, qui choisit et jumelle les artistes du projet.

 

Écran-triptyque, aiguillage en direct

Au trio d’écritures artistiques qui se croisent et s’imbriquent dans chaque épisode répond une diffusion sous forme d’écran-triptyque. Parfois traités comme une seule image, parfois comme des flux d’images distincts, les trois panneaux du triptyque sont édités en direct.

 

« C’est le format qui relie tous les épisodes. Je voulais casser l’écran pour être sûre de se distinguer du streaming », explique Dana Gingras.

 

Les artistes, qu’elle choisit et jumelle, décident à chaque fois si leur contribution sera préenregistrée (puis intégrée par le jeu du montage en direct), ou livrée en direct. « Les épisodes vont repousser les limites de la danse contemporaine, car ce ne sont pas des vidéo-danse. Il s’agit beaucoup plus de la relation du corps à la vidéo, à l’écran, au temps et à l’espace », précise-t-elle.

Corps dans l’entre-deux

Cette relation transformée par le confinement du printemps a d’ailleurs inspiré les limbes étranges du premier épisode, où les corps-images fantomatiques de Dana Gingras et de sa comparse vidéaste Sonya Stefan « arrivent dans un espace perdu, un entre-deux indéfinissable », en percutant la musique de Tot Onyx / group A (Berlin). Le trio se connaît bien, ayant œuvré au spectacle anOther à l’Agora en 2018.

 

«On travaille avec du matériel pré-enregistré pour le premier épisode, à cause de l’incertitude autour des mesures sanitaires, mais ça reste une performance live», indique la chorégraphe, qui envisage un autre degré de direct pour le second épisode, en mars, avec la musicienne Marie Davidson (Montréal) et de l’artiste vidéo Sabrina Ratté (Paris).

 

Dana Gingras cède ensuite la place, pour les épisodes suivants, aux Montréalais Stacey Désilier, Hanako Hoshimi-Caine, Sarah Williams (pour la danse), Radwan Ghazi Moumneh, Roger Tellier-Craig (pour la musique), et aux artistes vidéo Charline Dally (Montréal), Yoshi Sodeoka (New York) et Austin Young (Los Angeles), entre autres.

 

Une esthétique expérimentale

Le titre Jump Cut fait un clin d’œil au style souvent décalé, expérimental et bizarroïde des « cable-access TV shows ». Cette sous-culture particulièrement florissante dans le New York dans années ’70 reflète peut-être le « tout est permis » de l’actuelle (re)conquête du territoire numérique.

 

« On embrasse la plateforme numérique d’une autre manière en ce moment. On se permet d’essayer des choses. Cela voudra dire plus de possibilités artistiques, pas pour remplacer l’art vivant : c’est un « et » non un «ou» », insiste Dana Gingras. Si le projet est né de la pandémie, elle est convaincue qu’il vivra au-delà. Car il se nourrit d’un doute artistiquement stimulant et d’une ouverture prometteuse : «ce qui était avant sera-t-il pertinent pour ce qui sera après» ?

 

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