La lumière joue un rôle essentiel en danse contemporaine. Plus qu’éclairer l’œuvre, elle lui donne corps et lui donne sens. Une tendance qui s’enracine de plus en plus, grâce à la maestria québécoise. Entretien avec deux bonzes de la conception d’éclairages de chez nous : Lucie Bazzo et Paul Chambers.

Elle aime se décrire comme une «patenteuse». Autodidacte, Lucie Bazzo a une longue feuille de route en matière de conception lumière. Elle profitera d’une résidence d’éclairages en 2019 à l’Agora en vue de cosigner une œuvre (avec la chorégraphe Hélène Blackburn) largement définie par sa mise en lumière.

Le plus jeune et aussi prolifique Paul Chambers est déjà réputé pour son inventivité, à mi-chemin entre une approche conceptuelle et intuitive. L’Agora accueille bientôt son atelier d’éclairages offerts à la communauté artistique, sous la bannière du Studio 303 depuis 10 ans !

Peintres de l’espace

Tous deux comparent leur travail à la peinture. «Je regarde le show et l’espace et je le traite avec la lumière, comme si c’était un canevas», dit Paul. Lucie cite ses peintres de prédilection : Rembrandt, Francis Bacon, Lucian Freud. Invités à tenter une définition de la lumière scénique, ils soulignent sa double nature difficile à saisir.

Londres par Lucie Bazzo

Londres par Lucie Bazzo

 «C’est un élément intangible, éphémère et en même temps ça peut avoir un effet très fort sur nous», dit Paul. Il y a une part de magie qui est inhérente à cette matière sans corps qui donne pourtant corps. «La lumière existe parce qu’elle frappe un objet ou un corps, note pour sa part Lucie. Sinon c’est le noir. Elle guide le spectateur et magnifie l’œuvre. Si ton «cue» ne rentre pas, le danseur ne peut être vu.»

Sur quoi s’appuient leurs conceptions ?

Chaque processus est unique, les deux en conviennent, et leur statut de collaborateur les met au service de l’œuvre et du chorégraphe. Parfois ils partent d’un thème ou d’une technique (le travail d’ombres ou l’utilisation d’une couleur dominante, par exemple). «L’éclairage peut aider à communiquer un thème, à apporter une dramaturgie», dit Paul.

Pour donner peu à peu corps à leur vision, qui se passe bien souvent «entre les deux oreilles», dit Lucie, la collecte d’images est incontournable.

«Certains sont forts sur les logiciels et ils programment tout sur ordinateur, signale Lucie. Moi, Internet n’existait pas quand j’ai commencé. J’ai toujours dessiné pour montrer l’atmosphère, ajoute celle qui recourt aussi massivement à la photo pour s’inspirer, comme en témoigne son riche compte Instagram lightingirl documentant son récent séjour prolongé à Londres.

L’éclairagiste versus le concepteur

En arrivant tard dans le processus, le risque est de se limiter à «éclairer la performance» de manière plus fonctionnelle. Les métiers d’éclairagiste et de concepteur lumière sont bien distincts au Québec, souligne Paul qui a enseigné dans des pays où le rôle de concepteur n’existe pas, et où soit le scénographe ou le chef technicien définissent l’accrochage des projecteurs. «On a la chance d’avoir un beau bassin de concepteurs ici au Québec», dit-il évoquant même une effervescence avec la multiplication des projets qui donnent une place centrale à la lumière, comme le prochain spectacle Lamelles à l’Usine C ou le récent Dans l’idée de ne plus être ici d’Hugo Dalphond. Son collectif CHA (formé avec David-Alexandre Chabot) en rajoutera en s’amusant à inverser les hiérarchies entre chorégraphe et concepteur lumière lors du prochain programme double de Tangente.

© Orlin Ognyanov

Paul Chambers © Orlin Ognyanov

Lucie Bazzo © Richere Trudeau

Lucie Bazzo © Richere Trudeau

 

Y a-t-il des outils ou des approches qui définissent leur signature?

«Il n’y a pas de règle, mais présentement, je travaille beaucoup avec les movings lights – avec palettes de couleurs intégrées, c’est puissant et ça me permet d’aller jouer avec les couleurs, confie Lucie. Quand on vient me chercher, c’est parce qu’on veut de la couleur.»

Les projets de Paul sont soit très conceptuels, comme son travail avec Dorian Nuskin-Oder, soit ils misent la couleur et les images. «En ce moment, je suis très intéressé par comment l’éclairage peut nous affecter physiquement ou émotivement, pour le transcrire sur scène. Et comme il y a moins de décors scéniques en danse contemporaine, la lumière joue aussi un rôle très scénographique.»

Ultimement leur création doit tenir compte du lieu, de l’espace et du gabarit du théâtre et de ses équipements disponibles. Plus récemment, l’exploration de nouvelles dispositions scéniques, où le public est assis autour de l’œuvre ou partage l’espace de l’œuvre, transforme aussi la pratique du concepteur lumière. «Le rôle changeant du spectateur affecte comment on travaille. Le public devient acteur, il est donc autant dans la lumière que les danseurs/performeurs.»

Dessin de Lucie Bazzo

Dessin de Lucie Bazzo

Conception de Paul Chambers PARADISE © Frederic Chais

Conception de Paul Chambers PARADISE © Frederic Chais